Gratuité des transports en commun : pour ou contre ?

La gratuité des transports en commun est-elle une mesure à soutenir ou à contester ? Quels sont les arguments en faveur et contre ? Dans le paysage de la mobilité urbaine et de la mobilité durable, la gratuité des transports publics émerge comme une solution séduisante. De Dunkerque à Montpellier, près de 40 collectivités ont adopté ce modèle sur leur réseau de transports en commun. Mais quels en sont les véritables impacts et quels en sont les enjeux ?

La gratuité, un atout majeur pour l’écomobilité

Comment se traduit le schéma de gratuité des transports ?

La gratuité des transports n’est pas nécessairement une mesure uniforme. Les grandes agglomérations, en particulier, ont tendance à épouser un modèle plus flexible, offrant une gratuité partielle. Cela peut prendre la forme suivante :

  • Une prise en charge totale ou partielle du coût de l’abonnement.
  • Une gratuité périodique : lors des week-ends, vacances, événements locaux ou sur horaires de nuit, etc.
  • Une gratuité « solidaire » qui s’adresse à certaines catégories de la population : les jeunes, les personnes âgées, les handicapés, les bénéficiaires d’allocations ou encore les personnes à faible revenu, etc.

Les avantages avancés pour ce format de gratuité des transports en communs sont multiples.

Tout d’abord, elle permet au plus grand nombre d’avoir accès aux transports en commun, encourageant ainsi l’utilisation de modes de déplacement plus durables et réduisant la dépendance à la voiture individuelle en faveur d’un report modal vers des mobilités alternatives. À Niort, depuis le lancement de la mesure en 2017, 85% des nouveaux usagers de bus étaient auparavant des automobilistes, déclare le maire Jérôme Baloge.

En luttant contre la pollution et en favorisant la transition écologique, elle contribue à améliorer la qualité de l’air et à préserver notre environnement.

De plus, en optimisant l’utilisation des transports en commun, elle peut contribuer à réduire la congestion routière et à fluidifier le trafic urbain. La gratuité des transports promeut également l’inclusion sociale en offrant un accès égalitaire à toutes les catégories de personnes, indépendamment de leurs moyens financiers.

Enfin, elle peut, aussi, stimuler l’attractivité des centres-villes en facilitant l’accès aux commerces, aux services et aux activités culturelles pour les citoyens.

 

Cas d’usage : ces territoires qui ont adopté la gratuité des transports

 

Tallinn : le Pionnier de la gratuité des transports publics

Femme à vélo croisant un tramway dans les rues de Tallinn, capitale estonienne.
Tramway et cycliste dans les rues de Tallinn.

Inauguré en 2013, c’est en réponse aux besoins de sa population que la ville a opté pour cette mesure.
En effet, c’est trois ans plus tôt que le processus a commencé avec des études auprès des habitants afin d’évaluer la situation : l’adhésion est massive avec 75% en faveur de la mesure.

Dès la première année de mise en service de la gratuité des transports, la fréquentation a augmenté de 6,5 %, puis elle a continué sur cette lancée (excepté la période covid). En 10 ans, c’est 60% d’usagers des transports en plus pour Tallinn.

Dans le même temps, la population a augmenté de près de 8%, et ce, notamment grâce au principe de gratuité. Certains nouveaux résidents ont choisi de venir s’installer au cœur de la capitale estonienne, plutôt qu’en périphérie, le transport gratuit étant réservé aux résidents de la ville elle-même.

Ensuite, cette augmentation de population a permis, à son tour, de continuer à financer cette mesure de gratuité (les dotations de l’État pour les transports étant proportionnelles à la population). Alors même que la population augmente, la circulation automobile, elle, baisse de 4 % en 10 ans. Somme toute, un joli cercle vertueux pour la ville.

Ces résultats sont un signe clair et encourageant de report modal, favorisé par la mesure de gratuité des transports en commun déployée par Tallinn.

C’est une réussite.

Dunkerque : une réussite exemplaire de la gratuité des transports en commun ?

Arrêt de bus à Dunkerque avec un bus du réseau DK'Bus, symbole de la réussite de la gratuité des transports en commun dans la ville.
Bus du réseau de transport de la communauté d’agglomération de Dunkerque « Dk’Bus ».

En 2018, la communauté d’agglomération de Dunkerque a franchi une étape majeure en adoptant, elle aussi, le principe de la gratuité totale des transports sur son réseau « Dk’Bus« , devenant ainsi la plus grande collectivité d’Europe et la plus grande agglomération de France à proposer ce dispositif.

Malgré les débats entourant la gratuité des transports, Dunkerque a enregistré des résultats remarquables après sa mise en œuvre.

Un an après son instauration, la Communauté urbaine de Dunkerque et VIGS, l’agence d’urbanisme « Villes innovantes et gestion des savoirs », ont analysé les premiers résultats de la mesure. Sur un échantillon de 2000 personnes, il a été constaté que la moitié étaient de nouveaux usagers, parmi lesquels 48 % avaient abandonné leur voiture au profit du bus.

Cette étude a également permis de quantifier la hausse de la fréquentation du réseau de transports en communs : +125 % en 5 ans, avec 72 % d’automobilistes y ayant recours. De plus, 33 % de ces mêmes automobilistes envisagent de se passer de leur voiture dans les années à venir.

Patrice Vergriete, président de la communauté urbaine et maire de la ville, s’enthousiasmait de ces résultats positifs, après seulement un an de mise en place : « C’est inouï ce report modal. Et même si nous ne pouvons pas mesurer précisément l’impact sur la pollution de l’air, la question environnementale est un succès. »

En 2022, face à la réussite du projet, Dunkerque répond à la demande croissante et consolide son engagement en faveur de la mobilité durable. Une nouvelle ligne de bus est créée et la fréquence des cinq autres du réseau augmentée, afin de réduire la saturation.

Montpellier : gratuité, écologie et inclusivité

Tramway du réseau de transport en commun TAM à Montpellier.
Tramway du réseau de transport en commun TAM de la métropole de Montpellier.

La métropole de Montpellier a franchi une étape importante en matière de transport en offrant d’abord une gratuité périodique des transports les week-ends dès 2020, avant de l’étendre à une gratuité solidaire pour les moins de 18 ans et les plus de 65 ans. L’initiative s’est pleinement concrétisée fin 2023, lorsque la gratuité a été étendue à l’ensemble de ses habitants.

Cette décision stratégique s’inscrit dans une démarche résolument écologique, visant à améliorer la qualité de l’air en réduisant l’usage des véhicules individuels, tout en favorisant une mobilité solidaire et inclusive.

En plus d’accélérer la transition écologique, cette mesure vise à simplifier les déplacements et à les rendre plus accessibles à tous.

Elle contribue également à soutenir les commerces de proximité en facilitant l’accès aux zones commerciales dans le centre, tout en renforçant le pouvoir d’achat des familles en réduisant les dépenses liées aux transports.

Le taux de satisfaction en 2023 passait de 44% à 80% après le déploiement de la mesure de gratuité dans la ville.

La gratuité des transports en communs est-elle réellement une stratégie payante ?

Personne qui valide son titre de transport

En dépit des avantages qu’elle offre, des doutes persistent quant à la pérennité de ce modèle. Des syndicats voyageurs et organismes tels que la Fédération Nationale des Associations d’Usagers des Transports (FNAUT) et l’Union des Transports publics et ferroviaires (UTP) se questionnent.

Les défis incluent, entre autres, le risque de saturation des réseaux, la nécessité de trouver des sources de financement alternatives après la suppression des recettes de billetterie et l’impact concret sur le report modal… Tous ces points sont encore à explorer.

Une enquête de l’UTP, l’année dernière,  révèle qu’à peine 23% des automobilistes réguliers considèrent le prix des tickets comme un frein. À l’inverse, ils pointent du doigts les contraintes de temps liées aux transports en communs.

Pour ou contre la gratuité des transports en commun, du côté de certains usagers, l’heure est plutôt aux interrogations.

À titre d’exemple, des enquêtes menées à Dunkerque montrent une appréciation mitigée : 63% privilégient des services payants, mais plus développés.

Du côté de Niort, bien que les avis soient majoritairement positifs, quelques habitants déplorent certaines contraintes : “Il y a des gens qui ne prenaient jamais le bus et maintenant que c’est gratuit, ils le prennent. Des fois, tu n’as pas de place pour t’asseoir. Des inquiétudes qui rejoignent celles des syndicats et organismes.

Finalement, pour la ville de Tallinn, les 25% s’étant montré défavorable au lancement de la mesure expliquait craindre une dégradation du service et de la sécurité. Ces craintes avaient été entendues par la ville qui a investi dans du matériel, de la maintenance et avait remis à neuf certaines rames de tramway…

Vers une mobilité urbaine équilibrée : comprendre les enjeux et prioriser l’intermodalité

Vélos en libre-service

À l’heure actuelle, la gratuité des transports en commun est l’objet d’un débat dans lequel les arguments, pour et contre, se valent.

Elle offre indéniablement des avantages sociaux, environnementaux et économiques. Cependant, son implémentation, sa viabilité économique et ses impacts varient d’une ville à l’autre et restent complexes à évaluer.

Sur le plan écologique, des données comme celles de l’Observatoire du transport financé par l’ADEME indiquent une évolution positive du rapport des citoyens à l’automobile. Pour cause : 33% des automobilistes usagers du bus envisagent de se passer de leur voiture dans les 5 à 10 prochaines années. 8% ont abandonné leur voiture entre 2018 et 2022. Cependant, l’impact exact sur le report modal reste sujet à débat.

Face à ces enjeux, une approche intégrée, flexible et adaptée aux spécificités des besoins des communautés, apparaît être la clé pour façonner l’avenir de la mobilité urbaine.

En d’autres termes : favoriser l’intermodalité et le maillage entre les différences services de mobilité (comme les flottes de vélos en libre-service et les transports en commun, simples de déploiement, accessibles et économiques) ou améliorer la qualité et la fréquence des services.

Cela permettrait entre autres de fidéliser les usagers tout en répondant aux besoins spécifiques des différentes communautés urbaines.

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